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Traduction 770espa

18 septembre 2021

Version coche classico

Mercedes Typ « Großer Mercedes » 1930 - 1943

Daimler-Benz est le plus ancien constructeur automobile encore en activité. Né de la fusion des firmes créées à la fin du 19ème siècle par Gottlieb Daimler et Carl Benz, il a eu, dès l'origine, pour ambition de viser la perfection. Parce qu'ils ont réussi à surmonter les inévitables tensions nées de cette fusion de deux entreprises très différentes, les hommes de Mercedes-Benz ont permis à la firme de Stuttgart de se hisser au plus haut niveau en moins de dix ans.

Un siècle plus tard, nombre de Mercedes ont ainsi marqué l’histoire au point que l’un de leurs plus illustres utilisateurs en ait même fait oublier l’appellation officielle. La 300 W186 est, en effet, dite " Adenauer " tant elle est indissociable du premier chancelier de l’Allemagne d’après-guerre. L’étoile aura été mêlée à nombre d’évènements heureux ou de portée exceptionnelle, mais aussi dramatiques lorsqu’elle a servi de funestes et condamnables desseins, se compromettant avec certains des personnages les plus honnis de l’Histoire.

A son apparition en 1938, la Mercedes 770 Großer W150 est la plus puissante, la plus imposante et la plus chère des voitures de son époque. Elle aurait donc pu aussi demeurer dans l’histoire comme l’une des plus belles, mais son destin sera tout autre. Celle qui n’est même plus exposée au Musée Mercedes est pourtant et avant tout une voiture d’ingénieurs, la vitrine d’un savoir-faire, une grande routière moderne, sûre, puissante et confortable. Mais elle va hélas être prise dans la tourmente suscitée par l’une des idéologies les plus dévastatrices que l’humanité ait connue et dont cet article ne fait évidemment pas l’apologie. La voici donc racontée en tant qu’automobile remarquable, sans occulter le contexte historique, mais en évitant le sensationnel au profit de l’information la plus juste possible.

1926/1937, les chemins de l'excellence

L’histoire des Mercedes d’exception débute en juin 1926 lorsque Daimler Motoren Gesellschaft - propriétaire de la marque Mercedes - et Benz & Cie fusionnent pour donner naissance à Daimler-Benz AG. À peine née, la nouvelle marque est déjà menacée de perdre sa position sur le segment hautement stratégique du haut de gamme où la concurrence affûte ses armes. Ainsi, Maybach prépare une douze cylindres de 150 ch pour sa future DS7, alors que Mercedes ne dispose que de la 630 au six cylindres déjà obsolète puisque elle n’est qu’une 24/100/140 PS,  grande voiture de luxe introduite par Daimler en 1924.

La nouvelle entreprise doit attendre l’automne 1930 pour riposter en présentant un nouveau modèle qui repousse les standards automobiles à un niveau si élevé qu’il ne faut plus parler de haut de gamme, mais de voiture d’exception.

La Großer W07 (1930/1938), premier pas dans un segment peu exploré

Le jeudi 2 octobre 1930 à Paris, sous les voûtes du Grand Palais, s’ouvre le 24ème Salon de l’Automobile et du Cycle. L’ambiance est euphorique, tant la situation économique de la France est alors brillante au regard de celle des autres grands pays industrialisés. Il n’en va évidemment pas de même de l’autre côté du Rhin où il n’y a même plus de Salon. Mercedes est donc contraint de se rendre dans la capitale française, siège de la plus grande manifestation du genre en Europe, pour dévoiler son nouveau vaisseau amiral. Selon la nouvelle nomenclature interne en vigueur depuis 1926 et encore utilisée de nos jours, il est désigné W07.

Quelques mois avant sa commercialisation et afin de bien marquer son positionnement inédit au sommet de la gamme, les agents de la marque sont informés que son appellation commerciale sera Großer Mercedes (Grande Mercedes) - ou, pour les pays anglophones, Super Mercedes. Il en ira de même pour la W150 en 1938. Les appellations 770 ou 770K n’apparaîtront que plus tard et de façon officieuse.

À Paris, donc, Maybach présente sa DS8, encore plus puissante et rapide que la DS7, ses 200 ch l’entraînant à 170 km/h. Pour autant, chez Mercedes, on demeure confiant, même si la W07 ne constitue pas un bond en avant esthétique ou technologique. La nouvelle venue n’apporte pas non plus de solutions techniques particulièrement originales. Daimler-Benz a préféré jouer la prudence afin de ne pas compromettre une réputation désormais bien assise et de s’assurer la fidélité d’une clientèle plutôt conservatrice qui accepte les évolutions mais pas vraiment les révolutions. Point d’incursion dans des domaines inexplorés, donc, mais une attention toute particulière portée à la fiabilité et, surtout, aux qualités routières.

Sous le capot, la W07 se contente d’un huit cylindres, les M07 et M07K suralimenté de 7 655 cm3 (95 x 135 mm, taux de compression 4.7), alors que la vogue est aux blocs à douze cylindres. Ces cylindres surnuméraires sont pourtant inutiles dans la mesure où les aptitudes routières et la maniabilité des monstres qu’ils animent sont obérées par l’archaïsme des solutions techniques utilisées pour leurs châssis. Sans grande audace technique, la Großer Mercedes est néanmoins la première voiture de série disponible en version suralimentée. Elle dispose en outre d’un tout nouveau système d’allumage à deux bougies par cylindre assuré conjointement par un magnéto à haute tension et une batterie. Longue de 5,60 mètres, large de 1,84 mètre et haute de 1,83 mètre pour un empattement de 3,75 mètres, la W07, qui pèse 2 700 kg, en impose !

Dès le départ, le constructeur entend occuper la totalité de son segment. Aussi la W07 est-elle disponible en six variantes de carrosserie : cabriolets B, C, D et F, Pullman Limousine et Offener Tourenwagen.  Lourde d’apparence, carrée et sans grâce, elle éveille heureusement l’intérêt de grands couturiers de l’automobile. Quelques châssis sont habillés avec bonheur par des carrossiers tels qu’Erdmann & Rossi, Jos. Neuss, Reutter ou Voll & Ruhrbeck en Allemagne, mais aussi, à l’étranger, Rollston aux USA, Castagna en Italie ou Lajos Zupka en Hongrie. Les commandes plus particulières sont traitées au sein du Sonderwagenbau, l’unité de commandes spéciales de l’usine de Sindelfingen d’où sortiront, entre autres, les exemplaires destinés à l’empereur du Japon et à l’ex-Kaiser Guillaume II.

En ces temps difficiles sur le plan politique, la W07 est aussi disponible en version dite de " haute protection ", domaine dans lequel la marque avait déjà fait une incursion avec sa variante blindée de la 460 W08. En prenant possession de ses W07, Hirohito dit Showa Tenno (1901-1989) devient ainsi le premier chef d’État à utiliser un véhicule sécurisé. En Espagne, les trois présidents successifs, Niceto Alcalá Zamora, Diego Martínez Barrio et Manuel Azaña, utilisent une Großer Mercedes blindée commandée en 1935 lors du Salon de l’Automobile de Barcelone. C’est à son bord que les deux derniers gagneront la France peu avant la défaite de la République, le 5 février 1939. Auparavant, Azaña l’aura utilisée plusieurs fois pour faire le tour du front à Valence, en Castille et en Catalogne.

Au Portugal, les présidents de la République et du Conseil, le général Oscar Carmona et le Professeur Oliveira Salazar, disposent de deux W07 blindées en 1938. L’austère Salazar, qui n’a pas été consulté sur l’achat de ces voitures, exprime rapidement son mécontentement. Il refuse d’utiliser la Mercedes qui lui est fournie, non seulement parce qu’il l’estime trop ostentatoire, mais aussi parce que le bruit court qu’il s’agirait d’un cadeau personnel de Hitler.

L’accueil réservé à la W07 par la presse spécialisée d’outre-Rhin est enthousiaste. Motor und Sport souligne que " sa vitesse de pointe est comparable à celle d’un bolide de course ", ajoutant " qu’alors qu’il serait imprudent de dépasser les 70 km/h avec d’autres voitures de la même catégorie, avec cette Mercedes il n’y a plus aucune limite. Nous ne connaissons aucune autre automobile qui permette de conduire à un tel niveau de sécurité à des vitesses à vous couper le souffle et dans un confort exceptionnel. C’est là toute la justification de l’existence d’une telle voiture. Il s’agit, à notre sens, pour Daimler-Benz de l’illustration de ce que l’on peut réaliser de mieux avec les moyens d’aujourd’hui ".

Quant au rédacteur en chef de l’Allgemeine Zeitung, il écrit " avec ce modèle, l’industrie automobile allemande retrouve la place qui était la sienne, au plus haut niveau et à l’avant-garde de ce segment très exclusif dans lequel elle excelle depuis les débuts de l’automobile ". Le ton est donné : onze ans après l’humiliation du traité de Versailles, la grande Allemagne est de retour.

L’année 1938 est marquée par la fin de production de la W07 dont, au fil du temps, les lignes se sont faites moins dures et plus plaisantes. Et, même s’il n’en a été fabriqué que 119 exemplaires, Mercedes peut estimer avoir gagné son pari. Adoptée par les grands noms de la politique, de l’industrie et du spectacle, la marque est désormais solidement installée au premier rang des fabricants des voitures de représentation, place qu’elle détient encore de nos jours. Mais des " temps nouveaux " s’annoncent et pas seulement au niveau politique ...

Les années 1930, une nouvelle donne pour l'automobile

Le milieu des années 1930 constitue un tournant dans l’histoire de l’automobile. Les carrosseries issues de la tradition des voitures hippomobiles commencent à s’effacer sous l’influence du Streamline, ce courant esthétique né aux USA et qui s’inspire des principes aérodynamiques. Les formes s’arrondissent, les arrières sont tronqués, les voitures sont plus basses, plus longues, plus effilées, plus homogènes.

La Chrysler Airflow de 1934, œuvre des ingénieurs Carl Breer, Fred M. Zeder et Owen R. Skelton, en est l’archétype. La même année, Citroën crée l’événement avec sa 7 aux lignes inusitées et dans laquelle se trouvent réunies, pour la première fois, les solutions techniques les plus modernes de l’époque : traction avant, structure monocoque, freins hydrauliques et suspension à roues indépendantes sur les quatre roues. Elles lui confèrent des qualités routières exceptionnelles, sans égales chez ses concurrentes, ni même dans le segment supérieur. L’automobile de luxe ne peut rester en retrait. Il lui faut trouver un compromis entre modernité et affirmation du statut social. La ligne de la voiture doit apparaître à la fois sculpturale et aérodynamique et allier tradition et modernité tout en conservant la dignité héritée du passé.

Chez Daimler-Benz, on en est d’autant plus conscient que, de la part des milieux industriels et gouvernementaux, s’exercent " d’amicales pressions " pour créer des véhicules dont l’apparence et la technologie constitueraient une sorte de vitrine de la puissance de l’Allemagne nouvelle. En d’autres termes, la W07, née en 1930, ne répond plus aux exigences présentes, pas plus d’ailleurs que la 500 Nürburg dont la conception remonte à plus de dix ans. La décision est donc prise de donner une descendante à la W07.

Ainsi, alors que partout en Europe et notamment en France, les constructeurs de voitures de prestige sont à l’agonie - fussent-ils aussi illustres que Bugatti ou Hispano Suiza -, l’optimisme règne à Stuttgart. La force de Mercedes est d’être un constructeur généraliste à la gamme étoffée qui produit, outre des voitures, des poids lourds, des véhicules de transport en commun et des moteurs pour la marine et l’aviation. Vendant aussi ses brevets, il ne se fixe aucune limite en termes de recherche et de développement. Ses profits l’autorisent même à investir dans des produits exclusifs sans trop se préoccuper des coûts.

Tel n’est évidemment pas le cas des petites marques qui se livrent une concurrence féroce et tentent de vendre des produits obsolètes sur la foi de leurs réputation passée tout en se voyant directement menacées par la montée en puissance de la grande série. À défaut d’avoir su nouer des alliances qui leur auraient permis de mettre en commun leurs innovations et d’asseoir leur rentabilité en maîtrisant les coûts, elles vont rapidement disparaître du paysage automobile.

En 1934, la gamme Mercedes comprend la bagatelle de douze modèles à quatre, six et huit cylindres, suralimentés ou non, avec moteur à l’avant ou à l’arrière et un grand nombre de châssis et de systèmes de liaison au sol, sans compter une multitude de pièces d’accastillage. Les bureaux d’études sont en tension permanente du fait du nombre de projets à mener simultanément et de la complexité de la chaîne logistique. On est bien loin de l’organisation retenue aux USA où une équipe de projet puise dans une banque d’organes pour proposer une gamme étendue à moindre coût. C’est sur ce constat que Daimler-Benz s’engage dans la voie de la rationalisation via le projet W24 qui consiste à remplacer par un seul modèle la W07 et la 500 Nürburg.

La 540K Lang W24 expérimentale, la préfiguratrice

C’est au cours des années 1934 et 1935 que la W24 est développée sur la base de la 540K W29, dont l’empattement passe de 3,20 mètres à 3,88 mètres. De cette voiture, construite à six exemplaires et qui ne figure pas dans la nomenclature officielle de la marque, on ne sait que peu de choses.

Elle fait appel à un huit cylindres suralimenté, le M24 de 5 401 cm3, qui développe 115 ch à 3 400 tr/mn pour un couple de 431 Nm. Il peut atteindre 180 ch avec le compresseur enclenché, propulsant la voiture à une vitesse maximale de 140 km/h. Longue de 6, 00 mètres, large de 2,07 mètres et haute de 1,80 mètre, elle affiche une silhouette bien plus élégante que celle de sa devancière et un espace intérieur sensiblement agrandi au profit des six ou sept passagers qu’elle est censée accueillir. Avec un centre de gravité abaissé de 150 mm, une suspension à barre antiroulis et une boîte de vitesses améliorée, ses qualités routières, confort et tenue de route, sont en net incontestablement en progrès.

Ce sont, du moins, les points que la marque souhaite mettre en avant lorsqu’en avril 1936, elle se fend d’un courrier à la Chancellerie du Reich. Elle y détaille tous les avantages de cette nouvelle voiture qui - pur hasard, sans doute - propose un étagement des rapports de boîte se prêtant particulièrement bien aux routes sinueuses menant à l’Obersalzberg ...

Cette voiture doit beaucoup à un jeune et brillant ingénieur du nom de Hans Gustav Röhr. Il apporte au projet sa déjà brillante réputation et son expérience considérable, mais, victime d’une mort prématurée, il va échouer à convaincre les caciques de Stuttgart des mérites de ses conceptions avancées. Tout cela influe sur le développement de la W24 qui ne sera finalement qu’un modèle de transition, se cherchant une identité entre tradition et modernité.

Le châssis, quoique surbaissé, est encore de conception très classique, tout comme le train avant constitué d’un essieu rigide et de ressorts semi elliptiques. Si Röhr parvient à imposer un essieu arrière moderne de type De Dion et une suspension à ressorts hélicoïdaux, ce n’est pas suffisant pour donner à la W24 autre chose qu’un statut provisoire. Néanmoins, une W24 immatriculée IA-103708 sera utilisée par Adolf Hitler de novembre 1936 au printemps 1938 avant de céder sa place à une W150 de présérie. À moins que l’une d’entre elles ne ressurgisse un jour des réserves secrètes de Daimler-Benz, aucune W24 n’a plus été vue depuis 1939 et leur sort demeure un mystère

W150, la Großer au sommet de son art

La W07 a marqué les esprits en concrétisant l'aspiration à la perfection qui caractérise Daimler-Benz depuis son origine. Le constructeur ne doit cependant pas s'endormir sur ses lauriers et lui assurer une digne succession, sous l'impulsion d'hommes inspirés et fort de ses avancées techniques, il va donc aller encore plus loin avec l'impressionnante W150.

Au milieu de l’année 1936, le projet de la W24 est abandonné. Moins puissante, moins imposante que la W07, il était à craindre qu’elle ne déçoive la clientèle d’exception et que celle-ci ne se tourne vers Maybach ou Horch, voire des modèles américains. Mais il faut faire vite pour donner un successeur à la W07 et la marque va se montrer extraordinairement réactive.

Alors que plusieurs années s’écoulent généralement entre la décision et la mise en production, Daimler-Benz AG va accomplir le tour de force de présenter son nouveau vaisseau amiral en moins de deux ans. Il y parvient grâce à la motivation et à la créativité des personnes impliquées dans le projet, certes, mais aussi grâce à la souplesse que lui confère le Sonderwagenbau. Cette structure indépendante de la ligne de production est exclusivement dédiée aux commandes spéciales. Elle a été créée en 1932 par Wilhelm Haspel, le directeur général de l’usine de Sindelfingen. Car s’il est un homme qui a tout compris des bouleversements que connaît l’industrie automobile depuis la fin du premier conflit mondial - notamment la montée en puissance de la grande série -, c’est bien lui.

Une W150 de présérie produite au cours de l’automne 1937 à destination de la chancellerie du Reich. La ligne n’est pas encore aboutie, reprenant l’arrière sans coffre de la W24 et les pare-chocs de la W07.

Le Sonderwagenbau, laboratoire d'excellence

Aux côtés des nouveaux venus issus de la démocratisation de l’automobile, il subsiste une clientèle aisée, désireuse de véhicules exclusifs. Or, pour l’heure, la marque ne peut la satisfaire qu’en recourant à des carrossiers extérieurs pour qui cette activité est particulièrement lucrative. Il lui est en effet impossible de répondre aux demandes particulières sans perturber le flux de la production en série.

 

Wilhelm Haspel dispose de deux atouts pour séduire des clients exigeants. D’une part, le label Sindelfinger Karosserie, déjà synonyme de construction selon les plus hauts standards de qualité et de savoir-faire ; d’autre part Hermann Ahrens, l’homme qu’il a recruté après avoir été impressionné par ses talents chez le concurrent Horch et qu’il a placé à la tête de ce Sonderwagenbau. Avec Friedrich Geiger, qui le rejoint par la suite, il va mettre en place les éléments des succès à venir. Ahrens et Geiger se considèrent comme des ingénieurs et non simplement comme des concepteurs au sens où nous l'entendons aujourd'hui. Leur rôle englobe à la fois le style et sa mise en œuvre constructive, concept qui reflète plutôt la compréhension anglo-saxonne du terme " design ".

Très rapidement, les retombées sont bénéfiques, tant en termes de réputation que de revenu généré. Ahrens va ainsi concevoir ou superviser la conception de nombre de modèles restés dans les mémoires, comme les 380 (W22), 500 K (W29), 540 K (W29 et W24), Großer Mercedes (W07 et W150), G4 (W31), et 600 (W148 et W157). Il mettra également en place ce que l’on appellerait aujourd’hui une " démarche client " afin que chaque voiture puisse être un modèle unique et parfaitement en harmonie avec les attentes et besoins de l’acheteur.

Il sera efficacement secondé par Geiger, l’artiste qui a d’abord appris le métier de charpentier avant de faire son apprentissage en carrosserie. Entré chez Daimler-Benz en avril 1933, il va y déployer de façon remarquable son double talent de technicien et d’esthète, notamment en réussissant à habiller de façon élégante et proportionnées les versions blindées de la W150. Bon nombre de ses créations deviendront des références au fil du temps, comme le Spezial Roadster 500 K/540 K de 1934 et, bien plus tard, la légendaire 300 SL.

Max Wagner est, quant à lui, l’homme des châssis, amenant l’expérience acquise lors de la conception des Flèches d’Argent Typ W25. Il travaille d’ailleurs déjà sur la structure de la future Flèche d’Argent Typ W125 de 1937 pour laquelle il a conçu un original châssis en acier molybdène-nickel-chrome à tubes ovales. Le premier défi de l’équipe de projet étant justement de concevoir un châssis moderne pour la nouvelle Großer, Wagner va mettre à profit son expérience des voitures de course et, en cela, va se montrer précurseur. En effet, si appliquer aux véhicules de route la technique issue de la compétition est aujourd’hui la règle, c’était encore loin d’être le cas dans les années 1930.

Sous la houlette de Max Sailer, ancien pilote de course à la tête du bureau d’études et du service des essais, toutes les conditions semblent donc réunies pour une brillante réussite. D’autant que Mercedes peut s’appuyer sur des d’avancées technologiques majeures, comme la suspension à roues indépendantes. bras trapézoïdaux et ressorts hélicoïdaux dont même l’industrie automobile américaine ne dispose pas. Aussi, lorsqu’au milieu de l’année 1936 ce talentueux quatuor se met au travail, nul ne doute que la future Großer sera un véritable chef-d’œuvre.

Un concentré de technologie

La W150 dispose donc d’un châssis en tubes ovales minces dont la rigidité élevée, combinée à un faible poids et à une suspension à ressorts hélicoïdaux avec roues indépendantes à l’avant et essieu De Dion à l’arrière, laisse présager d’exceptionnelles qualités routières. Par rapport à la W07, les dimensions sont à la hausse. L’empattement augmente de 130 mm, les voies avant et arrière de respectivement 100 et 150 mm et la longueur hors tout de 400 mm. Sous la direction d’Hermann Ahrens, les ingénieurs conçoivent une carrosserie légère et spacieuse déclinée en plusieurs variantes. La nouvelle voiture offre une silhouette étirée, surbaissée et équilibrée, bien plus élégante que celle de sa devancière. Néanmoins, ce n’est pas sans incidence sur le poids du véhicule. Quand la W07 atteignait 2 700 kg, la W150 pèse de 3 400 à 3 900 kg, atteignant même 4 320 kg pour les versions blindées.

Son nouveau moteur M150, 7 655 cm3, alésage /course de 95 x 135 mm et taux de compression de 6:1, est plus puissant que celui de la W07 de 5 ch (3,7 kW) en régime normal et de 30 ch (22 kW) lorsque le compresseur Roots entre en action. La puissance totale atteint donc 155 ch (114 kW) et 230 ch (169 kW) compresseur enclenché. Il est à noter que les axes des soupapes d’échappement sont traités au sodium pour éviter la surchauffe et assurer un meilleur refroidissement. Ainsi motorisée la nouvelle voiture pointe à 170 km/h, un record dans sa catégorie. Toutefois, sur les versions blindées, une signalétique apposée sur le tableau de bord invite le chauffeur à ne pas dépasser les 80 km/h en raison des limites imposées par les pneumatiques increvables à vingt chambres de marque Continental. La transmission à trois rapports avec overdrive de la W07 est remplacée par une Maybach à quatre rapports avec overdrive, qui sera suivie plus tard par une vraie boîte à cinq rapports totalement Mercedes. La capacité du réservoir d’essence est portée à 195 litres (plus une réserve de 20 litres) contre 120 litres pour la W07.

Plus luxueuse, plus puissante, plus chère que n’importe quelle autre voiture de son époque, la W150 représente la référence du bon goût pour une clientèle exigeante.

Lancée pour l’IAMA 1938, la W150 s’annonce comme un succès commercial prometteur. Néanmoins, lorsque la guerre éclate au mois de septembre 1939, peu de voitures ont été livrées aux clients civils. Elle sera donc presque exclusivement produite pour le gouvernement du Reich et ses alliés. L’excellence ayant un prix, il fallait compter 30 000 Reichsmark (214 500 €) pour un châssis nu, 44 000 RM (314 600 €) pour une Pullman Limousine, 46 000 RM (328 900 €) pour le cabriolet D et 47 500 RM (339 625 €) pour le cabriolet F. Les prix du cabriolet B et, surtout, des versions blindées ne nous est pas connu, mais on peut penser qu’il était astronomique …

Une voiture à la carte

Comme son aînée, la nouvelle venue se décline donc en de multiples variantes de carrosserie : cabriolet D (quatre portes, quatre glaces) cabriolet F (quatre portes, six glaces, cinq/six places), Offener Tourenwagen (quatre portes, ouverte, sept/huit places) et Pullman Limousine (quatre portes, six glaces). Il s’agit là de l’offre destinée à la clientèle privée, car les versions gouvernementales présentent des spécificités.

L’Offener Tourenwagen est la plus spartiate : tableau de bord peint, vide-poches ouverts, demi-cloison de séparation, capote sans compas de style torpédo … et absence de vitres latérales. Le cabriolet F, qui peut être considéré comme une voiture de maître, se remarque à sa capote munie de compas extérieurs dont la cinématique très sophistiquée permet un capotage/décapotage soit complet soit partiel comme un coupé de ville. Son équipement est particulièrement élaboré : séparation chauffeur à glace descendante, espaces de rangement, couvercle de boîte à gants et aménagements luxueux, tant dans le choix du garnissage intérieur que des boiseries qui ornent le tableau de bord et la cloison de séparation. Son alter ego, la Pullman Limousine, dispose pour sa part d’une carrosserie fermée entièrement métallique. Quant au cabriolet D, qui reprend les aménagements luxueux du cabriolet F, c’est plutôt une voiture destinée à être conduite par son propriétaire. Visuellement plus court, il est pourtant construit sur le même empattement, mais dispose d’un coffre à bagages plus volumineux.

Contrairement à sa devancière, la W150 ne verra aucun de ses châssis habillé par un carrossier extérieur. Toutes les voitures, y compris les versions blindées, seront produites à Sindelfingen, au sein du Sonderwagenbau et selon des méthodes artisanales. Certains équipements proposés sont en avance sur leur époque, tels les glaces teintées en vert ou le poste de radio Becker.

Au cours de sa brève carrière, la W150 ne connaîtra que peu d’évolutions esthétiques. Les modèles de présérie se reconnaissent aux grands phares Zeiss, aux pare-chocs à deux lames hérités de la W07 et à l’absence de couvercle de coffre. À partir du neuvième châssis, des phares Bosch de plus faible diamètre mais plus efficients remplacent les Zeiss, la voiture est dotée de nouveaux pare-chocs chromés garnis de caoutchouc fixés sur des supports verticaux eux-mêmes chromés, ainsi que d’une porte de malle. Sur les Pullman Limousine, les spats qui recouvrent les roues arrière disparaissent. Néanmoins, d’une voiture à l’autre, des détails de carrosserie pouvaient varier, comme la forme des ailes avant ou du marchepied. Certaines versions disposent de fentes sur le capot moteur afin d’améliorer le refroidissement.

Côté mécanique, le complexe système de carburation se révélant insatisfaisant, il connaîtra quatre modifications d’importance entre 1938 et 1943 avant d’acquérir la fiabilité requise. Enfin, à partir de 1942, l’orifice destiné à la manivelle disparaît de la calandre tandis que - économie de guerre oblige - quelques pièces d’accastillage sont supprimées ou simplifiées.

Comme indiqué précédemment, la nouvelle Großer a des performances exceptionnelles, ce que souligne avec enthousiasme la revue automobile britannique The Motor dans son numéro du 23 mai 1939 : " Le quart de mile (400 m) départ arrêté est abattu en 21 secondes, le 0 à 50 mph (80 km/h) est atteint en 12,2 secondes. La mise en marche du compresseur sur un quart de mile a augmenté la vitesse de 75 mph (120 km/h) à 87 mph (139 km/h). Sur ce même quart de mile, le véhicule a atteint 100 mph (160 km/h) en accélérant sans effort et avec quatre personnes à bord sur la ligne droite du circuit de Brooklands. La vitesse de pointe obtenue, 108 mph (173 km / h), est réellement étonnante pour une berline de huit places pesant près de trois tonnes … "

Bien plus tard, en avril 1965, Didier Charvet, de la revue française L’Auto-Journal, aura le privilège d’essayer la voiture conservée au Musée Henri Malartre, à Rochetaillée sur Saône près de Lyon. Il livrera avec un enthousiasme comparable ses impressions de conduite : " L’on est très bien au volant, mais nous avouons que nous appréhendions les réactions de ce monstre de près de cinq tonnes. Au départ, nous sommes un peu déçus : la voiture semble manquer de puissance. Nous apprécions cependant la douceur de l’embrayage et la parfaite maniabilité de la boîte de vitesses. Tous les rapports se passent du bout des doigts. Après une dizaine de kilomètres, moteur chaud, appréhensions oubliées, nous faisons vraiment connaissance avec cette Mercedes. Si l’on n’éprouve aucune impression particulière de puissance, on s’aperçoit vite, par comparaison avec les autres voitures, que les accélérations sont en réalité brillantes. On oublie que l’engin est blindé ! Nous ne sommes pas montés à plus de 130 car l’âge des pneus d’origine nous l’interdisait et le compresseur ne fonctionnait pratiquement pas. Toutefois nos essais nous ont permis de nous faire une idée de l’effet que l’on devait ressentir lorsque la voiture bondissait à plus de 200 à l’heure ! Nous avons emprunté de petites routes sinueuses et c’est là que notre surprise fut la plus grande. Le poids ne comptait pas et ce monstre de six mètres se manie aussi aisément qu’une Renault Dauphine ! Le confort est exceptionnel. La caisse ne bouge absolument pas et il faut vraiment de très mauvais pavés pour ressentir les vibrations. La consommation est également étonnante. Plus de 50 litres aux 100 ! La température extérieure assez basse, nous a permis d’apprécier un chauffage d’une efficacité assez rare … ". Ainsi, malgré les progrès accomplis par l’automobile en vingt-cinq ans, la W150 restait à un niveau que peu de voitures des années 1960 étaient en mesure d’atteindre.

L'unique Cabriolet B

Même si l’on ne peut à proprement parler de série, certaines des voitures produites présentaient des spécificités qui les distinguaient de celles qui étaient destinées à la clientèle privée. Ainsi en va-t-il de l’unique cabriolet B à la ligne majestueuse et élégante. Il aurait été commandé spécialement pour l’héritier du trône de Perse, Mohammed Reza Pahlavi, futur Shah d’Iran, tout juste 19 ans à l’époque.

L’on sait qu’Hitler avait tendance à servir ses propres intérêts en offrant une voiture à quiconque était en mesure de les satisfaire. Celle-ci était-elle un geste politique dans le but d’assurer un approvisionnement en pétrole iranien, précieux combustible qui manquait tant à l’Allemagne ? Un signe de reconnaissance en direction de la cour de Perse après qu’elle ait confié à des entreprises allemandes - comme Ferrostaal AG - le soin de développer ses infrastructures via d’importantes commandes ? Nous ne le saurons probablement jamais ...

Berlin, février 1938 : la W150 installe Mercedes-Benz au premier rang des constructeurs de voitures d'exception. Londres, octobre 1938 : la " Super Mercedes " remporte un tel succès à l'Earl's Court Motor Show que la presse automobile britannique la noie sous les éloges. Cette euphorie ne durera pas. Emportée par le flot de l'histoire. La belle étoilée verra sa brève carrière liée à l'une des idéologie les plus dévastatrices que le monde ait connu. Un quart de siècle s'écoulera avant que Mercedes-Benz ne renoue avec l'exception.

Lorsque la guerre éclate le 1er septembre 1939, peu de clients privés ont vu leurs commandes honorées et la production va être exclusivement réservée au gouvernement du Reich. Dès lors, les W150 présenteront des spécificités et une apparence quelque peu différentes de celles des versions civiles.

Les versions gouvernementales

La majorité des W150 produites pour les autorités sont découvrables. Elles allient l’apparence extérieure du cabriolet F - mais sans les compas de capote - et la finition plus austère de l’Offener Tourenwagen. Elles se caractérisent aussi par la présence d’un phare rouge clignotant à la gauche du chauffeur et d’un phare de recherche côté passager. Les modèles destinés à la protection rapprochée des dirigeants sont, quant à eux, de type torpédo sans glaces latérales, avec des poignées de portes à " tirettes " insérées dans un cuvelage, des lanternes proéminentes de W07 à la cime des ailes - permettant de mieux appréhender l’encombrement de la voiture en convoi de nuit - et des roues de secours dépourvues de caches.

Les W150 blindées

Comme pour sa devancière, une version dite " de haute protection " est disponible. Mais, contrairement aux W07 qui s’étaient exportées, les W150 blindées ne sont produites, à compter de 1939, que pour le seul Gouvernement et quelques dirigeants alliés de l’Allemagne. C’est sur l’insistance particulière de son chauffeur, Erich Kempka, qu’Hitler, qui y était jusque-là totalement opposé, se résout à accepter un véhicule blindé. L’attentat du 8 novembre 1939 au Bürgerbräukeller de Munich n’est sans doute pas étranger à ce revirement ...

Sur ces modèles, le blindage périphérique et celui du plancher sont assurés par des plaques d’acier de 2 mm, les glaces quant à elles, présentent une épaisseur de 30 mm. Plus lourde de 400 kg, la voiture peut résister au tir d’un Mauser 7.92 à dix mètres. Une étape supplémentaire est franchie avec le plan Aktion P - P pour panzerung, " blindage " - adopté en juin 1942 suite à l’attentat perpétré à Prague contre l’adjoint de Himmler, Reinhard Heydrich, mortellement blessé alors qu’il circulait à bord d’une Mercedes Typ 320 non blindée.

Au fur et à mesure de l’augmentation de la menace, certaines versions sont dotées de glaces de 40 mm d’épaisseur, d’un plancher renforcé de plaques de 5,5 mm à 8,8 mm et d’un blindage périphérique de 3,0 à 3,3 mm. Sur les versions décapotables est installé un pare-nuque en acier de 3,3 mm et une glace de custode de 40 mm d’épaisseur. Pour autant, cette protection est quasi inefficace lorsque la capote est baissée, comme l’Histoire le démontrera plus tard lors de l’attentat de Dallas ...

Le marchepied est modifié de manière à ce qu’un éventuel assaillant ne puisse y grimper. Un épais encadrement chromé - que l’on retrouvera près de trois décennies plus tard sur la 600 W100 - ceint le vitrage. Les portes disposent d’un verrouillage électromagnétique et les roues de secours servent elles-mêmes de blindage. Le poids de la voiture ainsi gréée s’accroît de près d’une tonne et, pour tenter d’en compenser les effets négatifs, les ailes sont réalisées en alliage léger.

Extérieurement, les voitures Aktion P présentent quelques différences visuelles notables. Si l’empattement de 3,88 mètres et la longueur de 6 mètres demeurent inchangés, les voies avant et arrière augmentent de 30 mm, de même que la largeur hors tout, qui atteint 2,10 mètres, tandis que la hauteur passe de 1,80 mètre à 1,90 mètre. Des fentes externes supplémentaires, reliées au dispositif de chauffage, apparaissent à la base du pare-brise pour assurer dégivrage et désembuage, le système classique n’étant plus adapté à l’exceptionnelle épaisseur du vitrage. Les portes sont soutenues par trois charnières courtes au lieu de deux longues. La glace de custode est allongée et recouverte partiellement par la capote. Cette dernière, plus volumineuse, affecte en forme de casquette à l’arrière au lieu d’être arrondie. Cette verticalité résulte de l’installation, au dos de la banquette arrière, du pare-nuque qui peut être relevé ou abaissé depuis le poste de conduite. Il comporte deux extensions latérales à la façon d’une bergère à oreilles Louis XV.

Sur les Pullman Limousine, le toit est lui-même renforcé de plaques de 3 mm et surélevé, la hauteur des vitres latérales étant augmentée. Mais c’est avec la version Innenlenker Limousine que le paroxysme est atteint. Cette conduite intérieure dotée d’une séparation chauffeur et proposée dans une exécution extrêmement luxueuse, est une vraie forteresse roulante. Glaces de 40 mm, plancher de 8,3 à 8,8 mm et blindage périphérique et du toit de 3,0 à 3.3 mm assurent une protection maximale. La lunette arrière, réduite à sa plus simple expression, peut être occultée depuis le poste de conduite. Les roues pèsent une centaine de kilos chacune et deux hommes sont nécessaires pour les manipuler. Placée dans le coffre, la roue de secours est installée sur un support permettant de l’extraire sans effort pour la poser sur le sol. L’Innenlenker Limousine sera notamment utilisée par Göring pour tenter de fuir au printemps 1945, par Himmler et par certaines personnalités telles que les Commissaires du Reich en territoires occupés, ainsi que par l’Espagnol Franco et le Norvégien Quisling.

Un cahier des charges exhumé par la marque dans les années 1960 nous apprend qu’il avait été envisagé de produire une variante encore plus performante dénommée W150 II. Elle devait recevoir deux carburateurs portant la puissance à 400 ch au régime de 4 000 tr/mn pour une vitesse de pointe de 180 km/h. Des performances époustouflantes pour un engin de 5,47 tonnes équipé d’un réservoir de 300 l ! Ce projet demeurera sans suite.

La voiture du Reich et de ses complices

" L’automobile m’a donné l’Allemagne ", disait Hitler. Il est vrai que, durant sa marche vers le pouvoir, comme l’a rapporté Kempka, son chauffeur, il effectue jusqu’à 100 000 km par an, distance faramineuse pour l’époque. Dès 1923, il ne roule qu’en Mercedes depuis que l’agent de la marque à Munich, un certain Jakob Werlin, l’a convaincu de troquer sa Selve 20 cv contre une Mercedes 28/95, suivie par une 15/70/100 - Typ 400 - en 1929. En décembre 1931, Hitler jure fidélité éternelle à la marque, estimant que sa Mercedes lui a sauvé la vie lors d’un accident. Et, dès son accession au pouvoir en 1933, on le verra parader dans des W07 immatriculées IIA-19357 et IIA-19356. De 1936 à 1938 et jusqu’à la sortie de la W150, il dispose de l’une des W24 expérimentales, immatriculée IA-103708.

Le 18 février 1938, un aréopage de personnalités se presse à l’inauguration de l’IAMA, I’Internationale Automobil-und Motorrad-Ausstellung de Berlin. Une fois son allocution prononcée, le Führer se dirige vers le stand Mercedes où l’attendent Wilhelm Kissel, directeur de Daimler-Benz AG, Max Sailer, directeur technique de la Daimler Werke, et Jakob Werlin, désormais membre du conseil d’administration de la firme. Aux côtés du châssis sur lequel Hitler se penche avec intérêt, on a amené le futur char de l’État, une Offener Tourenwagen qui, dès la fin de la cérémonie, regagne le Sonderwagenbau pour y être terminée.

Dès lors, les neufs W150 que le dictateur utilisera jusqu’à sa chute vont être de toutes les cérémonies, comme en témoignent les abondantes archives photographiques et cinématographiques de cette période. La belle Mercedes devient l’un des instruments de la propagande orchestrée par Joseph Goebbels, lequel ne laisse rien au hasard. " Le cortège quitte la Chancellerie dans un vrombissement de moteurs ", est-il ainsi écrit dans un document d’organisation ... Hitler n’est pas en reste et savoure le décorum des parades. Ce passionné d’histoire antique connaît toute la valeur du rituel du triomphe, cette cérémonie romaine au cours de laquelle le général victorieux défilait dans Rome sous les acclamations de la foule, à la tête de ses troupes et juché sur un char triomphal tiré par quatre chevaux.

Contrairement aux idées reçues, Hitler n’est jamais le propriétaire en titre des véhicules utilisés dans le cadre de ses fonctions. Pour ses déplacements privés - et pour d’évidentes questions de sécurité - il circule dans des voitures plus discrètes et dépourvues de tout attribut officiel. Administrativement, les commandes sont passées à Daimler-Benz AG au nom du " Führer et Chancelier du Reich " par son secrétariat particulier sur prescription d’Erich Kempka. Chauffeur attitré du dictateur, celui-ci est responsable de la quarantaine de véhicules qui constituent le parc automobile gouvernemental abrité au 16, Hermann Göring Straße - aujourd’hui Ebertstraße - à Berlin. C’est lui - et non Himmler ou Bormann, comme on a pu le lire - qui définit les spécifications et contrôle de bout en bout l’exécution de la commande jusqu’à la livraison, tant pour les voitures gouvernementales que pour celles offertes par Hitler à certains dirigeants étrangers. Les deux premières seront des exemplaires de présérie immatriculés IA-148764 et IA-148768.

Les W150 du maître du Reich

Le 20 avril 1939, pour le 50e anniversaire du dictateur, une troisième, immatriculée IA-148485, rejoint la flotte de la Chancellerie. Le 6 juillet 1940, lors de la mémorable parade célébrant la victoire sur la France, Hitler fait son entrée à Berlin à bord d’un modèle de présérie portant la plaque IA-148461. Deux jours plus tard, la Chancellerie du Reich reçoit une nouvelle voiture, blindée cette fois-ci, commandée à Daimler-Benz le 3 novembre 1939 et immatriculée IA-148697. Cette même année 1940, on voit Hitler à Munich dans une autre W150 immatriculée IA-148655. Si, durant la guerre, le Führer circule le plus souvent en G4, trois autres Offener Tourenwagen assurent son service. Elles ne sont pas immatriculées à Berlin (préfixe IA) mais en Haute Bavière (préfixe IIB) : IIB-215190, IIB-215289 et IIB-215043.

Ces neuf voitures, toujours carrossées en Offener Tourenwagen et dans lesquelles le maître du Reich s’installe invariablement à côté du chauffeur, présentent toutes les mêmes aménagements spécifiques. Pour lui permettre d’être vu et de se tenir debout commodément, le siège avant droit dispose d’une assise surélevée de 13 cm et rabattable, d’un piédestal pour assurer la planéité de la fosse passager et d’une poignée de maintien en haut du pare-brise. Debout dans la voiture, Hitler culmine ainsi à près de 2,50 mètres ! Une dixième voiture, une Pullman Limousine fermée et blindée, peut être ajoutée à la liste. Immatriculée IA-148696, elle véhicule notamment Hitler et l’amiral Horthy, régent de Hongrie, lors de leur entrevue au palais Klessheim, à Salzbourg, le 15 mars 1944.

Göring, dont on a récemment retrouvé une note manuscrite dans laquelle il faisait part de ses désirs - ou plutôt de ses ordres - quant aux spécifications de sa voiture, dispose également d’une Großer Mercedes. Le chef de la Luftwaffe étant connu pour son amour du faste, le luxe des aménagements de son véhicule contraste avec le caractère relativement sobre de ceux du Führer : cuir clair pleine fleur, tableau de bord en marqueterie et armoiries personnelles peintes sur les portes arrière. Il s’agit d’un cabriolet D immatriculé IA-125521, d’abord paré du bleu irisé cher au Reichsmarschall avant d’adopter une peinture de camouflage. Deux Offener Tourenwagen, respectivement immatriculées IA-111 et IA-611, sont attribuées à Goebbels et à Ribbentrop, tandis que d’autres dignitaires comme Hess et Ley ainsi que les Commissaires du Reich dans les territoires occupés se voient dotés de ces splendides voitures portant l’immatriculation RK1.

Le RSD (Reichssicherheitsdienst, Service de Sécurité du Reich), en charge de la protection d’Hitler et des principaux dignitaires nazis, se voit pour sa part équipé de W150 de type Offener Tourenwagen disposant d’aménagements spécifiques et immatriculées avec le préfixe POL suivi de cinq chiffres. En effet, son responsable, Johann Rattenhuber, a argumenté que, pour pouvoir assurer efficacement la protection des convois du Führer, ses agents devaient disposer de véhicules de puissance équivalente. Il est en effet hors de question que le véhicule de celui qu’ils sont censés protéger vienne à les " semer " ...

 

Dès le déclenchement de la guerre, les Großer Mercedes gouvernementales arborent un phare Notek, servant à l’éclairage des véhicules devant circuler dans un contexte de couvre-feu ou de défense passive. Les voitures doivent ainsi pouvoir se déplacer sans attirer le feu ennemi ou se faire repérer depuis le ciel. Les phares classiques sont alors occultés à l’aide de manchons textiles. Par ailleurs, nombre de W150 officielles sont dotées de puissants phares de recul destinés à permettre, en cas de danger, d’effectuer une marche arrière rapide ou d’éblouir des poursuivants. Quant aux découvrables d’Hitler, elles sont équipées de deux rétroviseurs intérieurs. Le second, orienté vers l’arrière droit, permet à l’accompagnateur assis derrière le Führer de surveiller un éventuel assaillant.

D’autres W150 sont commandées pour des dirigeants étrangers amis du Reich, tels le Poglavnik croate Ante Pavelic ou le maréchal finlandais Mannerheim qui se voient tout deux remerciés de la contribution de leurs pays à l’invasion allemande de l’Union Soviétique.

Le 12 juillet 1942, le président de ce qu’on appelle alors le Protectorat de Bohême et de Moravie, Emil Hachá, qui fête ce jour-là son 70e anniversaire, reçoit du Führer une 770 W150 en version Pullman Limousine afin de le " récompenser " des services rendus au Reich, services par ailleurs quelque peu contraints ... Le Président turc Ismet Inönü et son homologue irakien Choukri al-Kouatli profitent également des largesses intéressées d’Hitler, tout comme le Conducator roumain Antonescu et d’autres encore.

Les Mercedes du Générallissime

En 1940, Hitler offrit à Franco un Mercedes-Benz 540 G4 à six roues. Ce présent n’avait pas d’autre but que de tenter d’amadouer le Caudillo après que ce dernier eut refusé de participer à l’opération Félix, qui consistait à aider l’Allemagne à envahir Gibraltar.

Par la suite, deux autres Großer Mercedes rejoignirent le parc automobile ministériel sans que l’on sache à ce jour s’il s’agissait de cadeaux du Führer. C’est dans la première, une Pullman Limousine livrée en décembre 1942 que Franco réchappera le 28 juillet 1949, dans la région léonaise d'El Bierzo, d’un attentat  perpétré contre lui par la guérilla asturienne. La seconde livrée en 1943, était une Innenlenker Limousine fortement blindée, l’un des dix voitures produites dans le cadre du plan Aktion P.  

Une production des plus confidentielles

Sur les 117 exemplaires envisagés seuls 88 ont été effectivement produits lorsque les hostilités prennent fin : le châssis nu de l’IAMA 1938, un cabriolet B, cinq cabriolets D, sept cabriolets F, quarante-six Offener Tourenwagen, dont certaines blindées, dix Innenlenker Limousine, toutes blindées, et dix-huit Pullman Limousine dont quelques-unes blindées.

La production, qui s’étale de l’automne 1937 au printemps 1944, commence avec huit exemplaires de présérie (n° 189737 à 189744), suivis de vingt-cinq de série (n° 189774 à 189798). Quatre commandes (n° 397364 à 397367) ne seront pas honorées. Viendront ensuite cinquante autres exemplaires, dont vingt-cinq produits (n° 429311 à 429335) et autant annulés (n° 439408 à 439432). La dernière série de trente exemplaires, porte une nouvelle numérotation : 150006/0001 à 150006/0030. La commande gouvernementale datée du 17 septembre 1943 pour dix W150 supplémentaires (Offener Tourenwagen et Pullman Limousine) ne sera jamais honorée.

Dans le détail, treize exemplaires sont construits en 1938, quarante-quatre en 1939, un seul en 1940, un également en 1941, dix en 1942 et les dix-neuf derniers en 1943. Ces chiffres sont néanmoins à relativiser, car le millésime Mercedes de l’époque correspond à l’année de fabrication du châssis et non à celle de l’achèvement du véhicule. À titre d’exemples, la voiture commandée et livrée en 1941 au maréchal Mannerheim est produite sur un châssis 1939 et la dernière W150 de 1943 est fabriquée et livrée en 1944.

Ironie de l’Histoire, la dernière voiture sera livrée à un général français le 22 avril 1945. La veille, le 21, Stuttgart est tombée aux mains de militaires français. Ces derniers investissent les usines Mercedes dont une grande partie est en ruines en raison des nombreux bombardements que la ville de Stuttgart a du subir. Miraculeusement quelques voitures ont échappées à la destruction et parmi elles, un splendide Offener Tourenwagen à l’état neuf. Elle porte le numéro de châssis 429328 et était destiné à l'origine au Roi Farouk d'Egypte et devait être carrossée en Cabriolet D. Pour des raisons que l’on ignore, la commande fut annulée et le châssis attribué à une commande de l'Adjudantur des Fûhrers pour le RSD et fut carrossé en Offener Tourenwagen 6/7 places… qui ne sera jamais livrée. La commande est annulée sine die le 12 janvier 1943 à quelques jours de la chute de Stalingrad. Le 22 avril 1945 les français se font remettre la voiture et un collaborateur de l’usine annote le bon de commande d’un laconique  « Gouvernement militaire de Stuttgart. Général Schwartz » d’une écriture qui témoigne de la colère et du dépit du vaincu.   

Les survivantes : une W150 ne meurt jamais !

Que ce soit dans les décombres du garage de la Chancellerie ou dans ce qui restait de l’usine de Sindelfingen, nombre de W150 ont été détruites durant la guerre. L’Offener Tourenwagen d’Arthur Seyss-Inquart, commissaire du Reich aux Pays-Bas de 1940 à 1945, est démantelée en 1955 après avoir servi la couronne hollandaise. L’Innenlenker du traître norvégien Quisling connaîtra le même sort. Récemment les débris d’une Tourenwagen ont été retrouvés au bord de la Vistule et quelques voitures en trop mauvais état pour être restaurées ont servi de banque d’organes pour d’autres Großer Mercedes. Néanmoins, une trentaine de W150 sont parvenues jusqu’à nous, soit 35 % de la production. Ce chiffre est d’autant plus remarquable qu’à titre de comparaison, en France, seules trois Renault Reinastella sur les 405 produites ont survécu, soit 0,75 %.

Mais cela serait-il le cas si la Großer Mercedes n’était pas si intensément connotée historiquement ? Mises à l’abri par des nostalgiques ou prises de guerre des alliés, leur valeur symbolique les a sauvées de la rouille et de l’oubli, parfois au prix d’un destin extraordinaire. La voiture du dictateur croate Pavelic en est un bon exemple. Saisie par l’Armée Rouge, cette Tourenwagen dont Staline n’a pas voulu véhiculera un temps le dirigeant du Parti Communiste d’Outzbekistan avant d’être transformée en utilitaire pour transporter des citrouilles sur les marchés ! Par miracle, le propriétaire d’un musée privé moscovite l’a récupérée avant destruction et procède depuis plus de quinze ans (!) à ce qui est plus une longue reconstruction qu’une restauration.

Tout le monde - ou peu s’en faut - affirme détenir la Mercedes d’Hitler ... Il en est des W150 comme du chapeau de Napoléon pour lequel des sommes astronomiques sont demandées lors des ventes aux enchères au prétexte que le vendeur a l’intime conviction que ledit couvre-chef est celui de l’Empereur ! Pour l’heure, on ne connaît que trois W150 survivantes dont on peut affirmer avec certitude qu’elles ont effectivement été utilisées par le Führer.

C’est peu, certes, mais que dire des rarissimes survivantes des voitures vendues à des clients privés comme Gustav Krupp, l’avionneur Ernst Heinkel ou la Couronne suédoise ? Des quatre-vingt-huit exemplaires produits subsistent le sublime cabriolet B, un cabriolet D, trois cabriolets F - plus un " massacré " dans les années 1950 après son passage dans les ateliers du carrossier tchèque Karosa) -, quatorze Offener Tourenwagen, sept Pullman Limousine et cinq Innenlenker Limousine.

Aux mains de collectionneurs privés ou de musées aux États-Unis, en ex-URSS, en Allemagne, en Espagne, en Jordanie, en Nouvelle-Zélande et même en France, la plupart sont dans un excellent état de conservation ou ont bénéficié de restaurations soignées chez Mercedes-Benz Classic ou Fahrzeugrestaurierung Rosenow. Toutes sont authentiques comme en témoignent les Zertifikate délivrés par le constructeur.

Il serait hasardeux d'affirmer que la liste est close. Récemment encore, deux voitures ont ressurgi et il est certain que les Heiligen Halle, la collection secrète de Mercedes- Benz, recèlent au moins un exemplaire de ces superbes machines. Il n’est qu’à voir la réponse ambiguë du constructeur lorsque j’ai demandé si la Pullman Limousine noire, celle-là même que l’on avait exhibée en 1962 aux côtés de la nouvelle 600 W100, faisait toujours partie de sa collection. N’est-il pas curieux que l’on ne voie pas de W150 au musée de Stuttgart alors que les W07 de l’ex- Kaiser Guillaume II et de l’Empereur du Japon y sont exposées et mises en valeur ?

En France, le Musée National de l’Automobile de Mulhouse - Collection Schlumpf - détient deux W150 : le cabriolet D de l’avionneur Heinkel, qui y est exposé, et une Pullman Limousine en restauration. Cette dernière, qui a pu être identifiée comme ayant servi à la Libération au ministre de l’Air et de la Reconstruction Charles Tillon, avait précédemment été celle d’Erich Koch, commissaire du Reich de sinistre mémoire en Ukraine.

La seconde, n° de série 189789, est exposée depuis 1969 au musée fondé à Rochetaillée-sur-Saône par Henri Malartre. Il s’agit d’une Offener Tourenwagen de 1938. Présentée comme une voiture utilisée par Hitler - dont elle a d’ailleurs certaines caractéristiques comme le siège avant droit surélevé et rabattable, le piédestal et la poignée de maintien en haut du pare-brise -, il s’agit en fait d’une des voitures du RSD. Sa présentation spartiate en atteste, même si elle a pu être utilisée par le dictateur hors des sorties officielles. Initialement dépourvue de blindage, elle est revenue en usine en 1942 pour être reconditionnée en véhicule de haute protection dans le cadre de l’Aktion P.

Cela explique que la carrosserie d’origine, n° 849503, ait été remplacée par la 863802. Après la prise de Berteschgaden en mai 1945,  d’abord utilisée par le général français Leclerc, elle est cédée au général américain commandant le secteur voisin. Ce dernier l’abandonnera à Paris avant de regagner les États-Unis. Rachetée par un ancien de la 2e division blindée « Leclerc », elle participe ensuite à nombre de manifestations patriotiques jusqu’à ce qu’Henri Malartre, grand résistant qui a subi la torture et a été déporté, ne parvienne à l’acquérir pour son musée au terme de plus de vingt années de patience. Ce moment constituera pour lui comme une revanche sur les souffrances endurées.

Lors de la prise de Berteschgaden, les français avaient saisi une autre voiture, immatriculée IA-148696,  qui fut d’ailleurs source de tension avec les Américains, furieux de ne pas être entré les premiers dans le " Nid d’Aigle " hitlérien. Portant le n° de série 150006/0003, produite en 1942, elle fut authentiquement identifiée comme une voiture de la Chancellerie car  Hitler avait été vu à son bord lors d’une conférence à Salzbourg.

Pourvue d’une immatriculation de fantaisie, Z96501 - Z pour réquisition, 501 par référence au 501e régiment de chars de combat intégré à la 2e DB et 96 désignant une compagnie fictive de ce régiment - pour tromper la vigilance des Américains, elle gagne la France avec le colonel de Boissieu pour être offerte à son beau-père, le Général de Gaulle, comme cadeau de Leclerc. Le grand homme la refuse et la fait remettre au Musée de l’Armée. Celui-ci la cède à son tour à Victoire, une association venant en aide aux prisonniers de guerre, qui l’exhibe pour recueillir des fonds. Après avoir été exposée en France, en Belgique, en Hollande et en Suisse, elle part aux États-Unis où elle est vendue en 1949, dans des conditions douteuses, à un collectionneur de Philadelphie qui ne la fera plus paraître en public.

En Allemagne, trois Großer Mercedes sont visibles au Musée Automobile et Technologique de Sinsheim : une Offener Tourenwagen de la Chancellerie, une autre ayant servi à Ribbentrop et une Innenlenker prétendument attribuée à Himmler. Un collectionneur privé détient, quant à lui, l’une des Pullman Limousine blindées de la Chancellerie.

En Grande-Bretagne, la collection Wheatcroft compte une Tourenwagen restaurée chez Peter Spillner de Fahrzeugrestaurierung Rosenow, le maître en la matière. En ex-URSS, dans des collections privées, on connaît l’existence de l’Offener Tourenwagen d’Ante Pavelic déjà mentionnée, de deux Innenlenker de la Chancellerie et d’une Pullman Limousine blindée. Aux USA, la voiture de Mannerheim et le cabriolet B sont conservés dans la collection du général William Lyon, tandis que la voiture de von Falkenhorst fait partie de la collection Bob Bahre. Une autre Offener Tourenwagen est visible au Royal Automobile Museum d’Amann en Jordanie. La voiture du Dr Robert Ley se trouve en Nouvelle- Zélande. Enfin, le Musée canadien de la Guerre, à Ottawa, détient une authentique Offener Tourenwagen " Hitler " dans laquelle il a souvent été vu et qui était immatriculée IA-148697. Récemment encore, la IA-148461 de la mémorable parade de 1940 est réapparue lors d’une vente aux enchères.

En Espagne, la Pullman Limousine blindée de Franco entrée au service du Caudillo le 4 Décembre 1942  en tant que voiture de représentation pour les voyages officiels du générallisime, est conservée au sein de la caserne de la Garde royale, au palais d'El Pardo.  En 2001, elle a été confiée  à Mercedes Classic pour subir une restauration soignée. L’Innenelenker Limousine est détenue pour sa part au Parque y Centro de Mantenimiento de Vehículos de Rueda N° 1 de Torrejon de Ardoz (Madrid). On notera qu’au début des années 90, les héritiers de Franco ont revendiqué la propriété de la Limousine (et du G4) auprès des tribunaux sans avoir gain de cause.

L'homme qui tua Liberty Valance

Chacun connaît la célèbre réplique qui clôt le film de John Ford : " On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende ! " Elle pourrait s’appliquer aux W150 du Reich, au sujet desquelles la littérature n’est pas à une approximation ou une contre-vérité près. Il en va ainsi d’une légende tenace : celle de la présence d’un mécanisme d’autodestruction. Commandé par une clé séparée, il enverrait une étincelle électrique dans le réservoir d’essence pour faire exploser la voiture et ses occupants, leur évitant d’être pris vivants.

En réalité, la W150 dispose d’un allumage par magnéto qui doit, selon les recommandations de l’usine, être utilisé en fonctionnement normal, et d’un autre sur batterie en cas de défaillance du premier. La commutation entre les deux systèmes est assurée par un interrupteur au tableau de bord. L’allumage par magnéto ayant un fonctionnement aléatoire, il sera presque impossible de faire démarrer les W150 capturées, les mécaniciens n’étant pas au fait des subtilités du double allumage.

Lors de la restauration d’une voiture faussement attribuée à Göring chez Antique Automobiles Ltd. à Baston-Peterborough, dans le Lincolnshire (Royaume-Uni), le système a été simplifié de manière à ne démarrer qu’à l’aide de la batterie. Le bouton de commutation au tableau de bord, devenu inutile, fut alors neutralisé mais pas supprimé. Hugues M. Cook, qui avait travaillé sur la voiture, apposa donc, avec un humour typiquement britannique, une étiquette portant la mention Self destruct sous ledit bouton. Et même si, en 1980, Daimler-Benz AG a indiqué qu’aucun système de ce genre n’avait été installé sur ses voitures, la légende perdure. Ainsi, dans un documentaire récemment diffusé sur la chaîne française RMC Découverte, la directrice du Musée Henri Malartre,  affirmait avec le plus grand sérieux que la W150 présumée " Hitler " de son établissement était équipée de ce fameux système d’autodestruction !

La descendance

Peu avant le début de la guerre, Daimler-Benz envisage de donner un successeur à la W150 sous la forme d’une douze cylindres. Les études aboutissent à deux séries de prototypes à l'allure plus contemporaine en 1941 et 1942 : les Typ W148 et W157 dont quelques exemplaires sont construits. Le Typ W148 ou Mercedes 600 V, basé sur un soubassement de W150, dispose d’un 6.0 V12 à soupapes en tête développant 170 ch (125 kW) à 3 600 tr/mn entraînant la voiture à 160 km/h. Une version 600 K suralimentée est également mise au point. Compresseur Roots en fonction, son moteur développe 240 ch (176 kW). Ainsi équipée, la voiture atteint les 170 km/h en pointe. Quant au Typ W157, utilisant la même mécanique mais construit sur une base raccourcie, il peut atteindre 190 km/h. Toutefois, en mars 1942, par l’intermédiaire du ministre Albert Speer, Hitler fait savoir à Daimler-Benz - et de façon cinglante - que l’heure n’est plus aux voitures de luxe mais aux productions de guerre. L’aventure s’arrête donc là.

Ce n’est qu’en 1951, que Mercedes renoue avec le luxe en présentant sa nouvelle 300 Typ W186, passée dans la mémoire collective sous le nom de son plus illustre utilisateur, le chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer. Mais il faut attendre septembre 1963 et le Salon de Francfort pour voir la marque à l’étoile revenir vraiment à la voiture d’exception avec la 600 Typ W100.

Pour l’occasion, Daimler-Benz diffuse une photo représentant la nouvelle venue aux côtés de sa devancière, une Pullman Limousine certainement conservée dans les Heiligen Halle, les réserves secrètes du constructeur. Produite de 1964 à 1981 à 2 677 exemplaires, la W100 sera la voiture de nombreux chefs d’État, de têtes couronnées ... et de quelques tyrans, mais aussi de célébrités du show-business. La dernière Großer, peut-être, tant la Mercedes- Maybach S600 Pullman Typ W222 dévoilée en 2015 paraît avoir perdu l’altière dignité de celles qui l’ont précédée au profit d’un luxe et d’une démesure frisant le clinquant. Mais demain sera un autre jour ...

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